Tuesday, July 03, 2007

Haïti : guerre de l'eau à Cité Soleil

Le château d'eau suinte, dessinant des traînées sur le béton poreux. Quatre fois par semaine, à Cité Soleil, ces traces d'humidité sont le signe béni que la citerne est pleine. Au pied du réservoir, un badge officiel épinglé sur un faux maillot de Manchester, Jean-Béliard Dutes, 60 ans, ouvre une à une les vannes avant que le contenu sous pression ne lui dégringole sur la tête.

La distribution commence. Plus vive que l'eau, la nouvelle se propage dans le plus grand bidonville de Port-au-Prince. Dans ce lieu d'inhumanité, s'entassent les pauvres parmi les pauvres d'Haïti, un pays où 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Ici, entre la mer des Caraïbes et la Nationale 1, ont échoué ceux qui touchent le fond de la misère.
Boire, cuisiner, se laver peut-être... De l'amoncellement des tôles surchauffées, de l'entrelacs des venelles insalubres, les femmes sortent avec des récipients.

Quelques minutes plus tard, l'eau potable jaillit des 53 fontaines dispersées dans le ghetto. Derrière un abri grillagé, ouvrant et fermant les robinets, des préposés tentent de gérer la bousculade, de maîtriser les joutes verbales et parfois physiques. Il faudra deux heures à peine pour vider les 1 000 m 3 du château.

Mille mètres cubes et 53 points d'eau pour une population estimée entre 200 000 et 350 000 habitants. Dérisoire. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) estime à 6 litres la ration quotidienne par personne, soit trois fois moins que les minima de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais, à Cité Soleil, cette pénurie est un progrès. "Avant, nous pouvions rester deux ou trois mois sans eau", explique en créole Prosper Borgelin, dit "Gauché", 50 ans, un responsable de secteur.
L'eau a longtemps été contrôlée par les gangs, qui avaient mis le bidonville en coupe réglée. "Ils se partageaient les fontaines et percevaient une dîme", raconte Ugo Mora, délégué eau et assainissement du CICR. La société locale chargée de l'adduction n'osait plus s'aventurer dans ce coupe-gorge et, entre 2001 et 2006, n'a pas perçu le moindre centime de redevance.

Régulièrement, des fusillades éclataient pour le contrôle du précieux liquide. Jean-Béliard Dutes a manqué perdre un oeil dans un de ces règlements de comptes. "Des gens sont morts en allant simplement chercher de l'eau", explique Ugo Mora.

Arrivé en 2004, le CICR a dû négocier avec les caïds le droit de restaurer le réseau. Aujourd'hui encore, le comité doit composer avec les captages sauvages gérés par des hommes de main. Entre 150 et 200 bassins privés détournent une partie de cette manne et enrichissent des malfrats. Le prix officiel est de 2 centimes d'euro le "bokit" (environ 20 litres), cinq à dix fois moins qu'au marché noir.



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