Saturday, May 12, 2007

L’arsenic empoisonne le Bangladesh: à qui la faute?


Article de Fred Pearce, journaliste basé au Royaume-Uni, collaborateur de l’hebdomadaire The New Scientist.

Qui est responsable de l’empoisonnement de la population par «l’eau du diable»? Et combien de décennies faudra-t-il attendre avant que la contamination la plus massive de l’Histoire cesse de semer la mort et la maladie?

On a peine à le croire. Dans les années 70, plusieurs organisations internationales, UNICEF en tête, ont déversé des millions de dollars dans le forage de puits tubulaires au Bangladesh, afin de procurer de l’eau «propre» à la population.

Résultat, selon un récent diagnostic de l’Organisation mondiale de la santé (OMS): le plus grand empoisonnement collectif de l’Histoire. En effet, la moitié des millions de puits tubulaires du pays est contaminée à l’arsenic.

Des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de personnes, sont condamnées à mort.Pourquoi un tel gâchis? Tout simplement parce que personne ne s’est jamais soucié d’analyser l’eau pour vérifier sa teneur en arsenic, un poison naturel souvent présent dans les eaux souterraines. Et lorsqu’un médecin a décelé des traces de cette substance dans l’eau, quand les docteurs ont vu affluer de plus en plus de gens atteints de cancers ou de symptômes d’un empoisonnement à l’arsenic, on n’a pas voulu faire le rapprochement avec les puits.

Aujourd’hui encore, alors que l’affaire éclate au grand jour, personne ne veut reconnaître ses responsabilités. Ni l’UNICEF qui est à l’origine du projet et qui a financé les 900 000 premiers puits, ni la Banque mondiale qui a soutenu l’opération, pas plus que les autorités bangladaises, ni les ingénieurs étrangers qui, pendant tant d’années, n’ont pas pensé à faire analyser l’eau.

Les agences internationales qui ont parrainé ce désastre se lamentent en estimant qu’il faudra 30 ans pour recenser tous les puits tubulaires empoisonnés, soit plus de temps qu’il n’en a fallu pour les forer. Le problème remonte au début des années 70. A l’époque, la majorité des Bangladais qui vivaient en milieu rural buvaient de l’eau puisée dans les rivières et les étangs; or, des bactéries provenant des eaux usées déclenchaient des épidémies qui, selon la Banque mondiale, tuaient 250 000 enfants par an. D’où l’initiative de l’UNICEF, qui décida de forer des puits pour pomper l’eau du sous-sol, passant outre la sagesse populaire et les avertissements des gens, qui qualifiaient ces réserves souterraines «d’eau du diable».

L’UNICEF explique aujourd’hui que «les procédures classiques de l’époque visant à évaluer l’innocuité des nappes phréatiques ne comportaient pas d’analyse de la teneur en arsenic, [cet élément] n’ayant jamais été découvert dans le type de formation géologique existant au Bangladesh». Une affirmation qui irrite de nombreux géochimistes, dont John McArthur du University College de Londres: pour eux, ce qui est en cause, c’est le dogme largement répandu parmi les responsables de la santé publique selon lequel les eaux souterraines sont forcément saines.

En fait, qui savait quoi et quand? Le gouvernement bangladais soutient qu’il n’a été informé des premiers cas d’empoisonnement qu’en 1993 et qu’il aurait conclu deux ans plus tard à une intoxication massive dont les puits étaient la cause probable. Mais selon Quazi Quamruzzaman, qui travaille à l’hôpital communautaire de Dacca, les autorités avaient été informées du problème dès 1985: on avait alors diagnostiqué les premiers cas d’empoisonnement à l’arsenic chez des Bangladais partis vivre en Inde, au Bengale occidental.

L’arsenic tue lentement. Les symptômes les plus évidents sont des plaies sur la paume des mains et la plante des pieds, qui peuvent se gangrener et devenir cancéreuses. Dans le même temps, le poison s’attaque aux organes internes, en particulier aux poumons et aux reins; il provoque toute une série de pathologies, dont des cancers. Malgré des preuves de plus en plus accablantes de la contamination, aucune étude ne fut ordonnée.


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